Une découverte inédite : les bouleversements de 1789 racontés par un curé... en 1789.

Que ressentait-on en province en cet été brûlant de 1789, alors que Versailles tremblait et que Paris s’embrasait ?
Les registres paroissiaux ne sont pas que de simples listes de baptêmes et de mariages. Parfois, ils livrent des témoignages bouleversants de ceux qui ont vécu l’Histoire...
C'est notamment le cas avec le curé "Petit" de la paroisse de Saint-Genès à Clermont-Ferrand qui a laissé une trace précieuse de ces heures historiques dans les registres de sa paroisse.
Quand l’Histoire s’écrit dans les registres paroissiaux

Voici le témoignage rare d’un curé du XVIIIe siècle, qui nous livre en direct son émotion face aux événements révolutionnaires.

"Aujourd'huy mardy 21ème de la présente année
1789 le courrier nous a annoncé les plus
interressantes nouvelles; dans la nuit du jeudy au
vendredy le château de Versailles est balayé : tous
les ministres, le maréchal de Broglie, le Prince
de Limbese?, tous les polignac possible délogent
On a vu avec chagrin Mr le Comte d'Artois et les
enfans de ce Prince prendre le même (party?)
L'amour inné des Français pour le sang auguste?
qui les gouverne peut bien être affalibly mais
jamais il n'est effacé
Le calme est a (..?) dans Paris et dans les
provinces toutes les cloches de la ville ont
sonné sur le minuit. Tout le monde a arboré
la cocarde aujourd'huy, je l'arboray samedy
dernier à la salle des spectacles où se lisent
les nouvelles au bruit des acclamations et battement
de main d'un peuple immense mes vicaires
POYET, FLAT et FORGES chantames à la messe de
paroisse le Te Deum que j'annonçay à la
salle des spectacles dimanche à la messe
de paroisse le régiment des chasseurs s'est
mit avec la milice bourgeoise même cocarde
grande illumination. d perpetuam gloriae Dei memoriam
Petit hujus parochiae rector (pour le souvenir perpétuel de la gloire de Dieu - Petit, curé de cette paroisse)"
Merci aux paléographes du site Généanet pour leur aide à la lecture

Source : Archives départementales Puy-de-Dôme en ligne. Vous pouvez retrouver cet écrit dans les archives
3 E 500 456 - . - 1788-1789 - Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme, France) / Paroisse Saint-Genès - Vues 167 et 168 - https://www.archivesdepartementales.puy-de-dome.fr/ark:/72847/vtac66f5031ca429ead/daogrp/0/167
Un curé témoigne de juillet 1789
Les registres paroissiaux sont une source inestimable pour les généalogistes, mais aussi pour les historiens. En parcourant ces documents, on s’attend à trouver des actes de baptême, de mariage et de sépulture, ce qui par ailleurs ce que l'on recherche. Mais parfois, au détour d’une page, une surprise nous attend : un témoignage personnel, vibrant d’émotion, écrit par un témoin direct des événements.
C’est ainsi qu’en faisant du "page à page", du "acte après acte" j’ai découvert dans les registres archives paroissiales de Clermont-Ferrant (Paroisse Saint-Génès), les mots d’un curé relatant l’un des moments charnières de la Révolution française.
Son récit, est daté du mardi 21... 1789.
Le curé n'a pas indiqué le mois mais en 1789, mais il n'y a eu que deux "mardi 21" : en avril et en juillet.
En lisant le contexte de son témoignage (événements liés à la Révolution, prise de la Bastille, départ des ministres et aristocrates), tout pointe vers juillet 1789. L’exil des proches du roi et la généralisation du port de la cocarde correspondent bien à ce moment-là.
Le curé écrit donc plus que très probablement en date du mardi 21 juillet 1789 et son récit reflète le bouleversement qui secoue alors la France.
Une chronique révolutionnaire en direct
Ce curé écrit avec ferveur : il vient d’apprendre la nouvelle du départ précipité des ministres de Louis XVI, de certains aristocrates influents, et même du comte d’Artois, frère du roi.
Il décrit une France en effervescence : à Paris et dans les provinces, les cloches sonnent, la cocarde révolutionnaire est arborée par tous, et même l’armée commence à se mêler à la milice bourgeoise.
Mais ce qui frappe, c’est l’ambivalence de son ressenti.
Il évoque le « chagrin » suscité par l’exil de certaines figures de l’Ancien Régime et souligne que l’amour du peuple pour la famille royale est peut-être « affaibli » mais « jamais effacé ».
Témoignage précieux d’un homme d’Église, partagé entre fidélité monarchique et observation lucide des transformations en cours.
Un document rare, reflet du basculement d’un monde
Ce genre de découverte rappelle à quel point les archives paroissiales sont bien plus que de simples registres administratifs.
Elles sont également des capsules temporelles, capturant les peurs, les espoirs et les bouleversements d’une époque.
Ici, en quelques lignes, ce curé nous plonge dans l’intensité du mois de juillet 1789, ce moment où l’Ancien Régime vacille et où la Révolution prend son envol.

Prise de la Bastille. Cette image provient de la bibliothèque en ligne Gallica
Ce curé nous livre un témoignage brut, vibrant, qui nous rappelle que l’Histoire,
avant d’être écrite dans les livres, a d’abord été vécue.
Pour compléter cet article : l'église Saint-Genès des Carmes, située rue Neuve des Carmes à Clermont-Ferrand, est une ancienne église des Frères Carmes devenue église paroissiale après la Révolution. Elle est inscrite comme monument historique depuis 1961.
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