La Tragédie de Domaize (1712) : Quand la Charité Tourne au Drame

Plonger dans les archives, c’est parfois tomber sur des récits bouleversants.

Janvier 1712, Domaize : un élan de générosité tourne au désastre. En quelques instants, la précarité, la faim et la panique font dix jeunes victimes. Un prêtre a immortalisé ce drame dans les registres paroissiaux.


 Commune de Domaize, Puy-de-Dôme.

Dix enfants, âgés de 3 à 14 ans, meurent étouffés, le douze janvier 1712

Que s’est-il passé ce jour-là ?

Retour sur un événement aussi tragique que révélateur de son époque.


La Tragédie de Domaize (1712) : Quand la Charité Tourne au Drame

Les archives paroissiales recèlent parfois des récits saisissants, témoins d’un passé révolu mais toujours poignant.

C’est en parcourant celles de la petite paroisse de Domaize, dans le Puy-de-Dôme, que j’ai découvert, par le hasard de mes recherches, un fait divers tragique, consigné par un prêtre le 13 janvier 1712.

Ce jour-là, il rapporte en un seul acte, l’inhumation de dix enfants, âgés de 3 à 14 ans, morts étouffés la veille, lors d’une distribution d’aumônes offerte par Madame de Domaize.

Même si cela n'est jamais anodin en termes de ressenti, j'ai, de par ma profession, l'habitude de rechercher et de lire des actes de décès ou d'inhumation. Celui-ci m'a cependant particulièrement touché, aussi j'ai voulu rendre, ici, à mon modeste niveau, hommage à ses enfants.

Ce drame bouleversant, est par ailleurs, le reflet de la précarité extrême qui frappait alors les campagnes françaises. Pour mieux comprendre cet événement, il faut se replacer dans son contexte. Ce que je m'attacherai à faire également dans cet article.


Source : Archives départementales du Puy-de-Dôme en ligne. Commune de Domaize.

33 J 305 - 1690/1735 - 1690-1735 - Lien vers la vue 106 - 3ème acte à droite  https://www.archivesdepartementales.puy-de-dome.fr/ark:/72847/vtaec4fe3fa5f3ee41f/daogrp/0/106

" Le treize janvier mil sept cent douze ont estés enterrés Jean
PILIERE fils a Guillaume de la paroisse de Saint Dier agé environ huit
ans, Antonia BOISSIER fille à Jacque agée environ douze ans de la
paroisse de St Flour. Claude BOISSIER fils à Antoine de la paroisse
de Trézioux agé autour onze ans. Jean DUTEL agé autour onze ans
Benoite DUTEL agée environ sept ans tous deux de la paroisse de
fayet, Gilberte BONHOMME agée de neufs ans du lieu de la batisse
paroisse de st Jean dezolières (st jean des ollières) Josette BONHOMME agée de quatorze
ans du mesme lieu et paroisse de st Jean dezolières. Ont aussi estés
enterrés ce mesme jour et an que dessus une petite femme fort (maternelle ? materielle ?)
avec une sienne petite fille agée environ trois ans quon dizoit estre
de la paroisse de trézioux, et Estienne ANGLADE GIRAUD du lieu (druchey? duchey?)
paroisse de Domaizes agé environ onze ans Lesquels n'ont pûs recevoir
aucun sacrement ayant estés tous dix estouffés par une foule
de peuple dans une aumosne générale que faisait Madame de Domaizes
le jour précédant douzième janvier mil sept cent douze en
pnce (abréviation de présence) de Léonard PUISSOCHET Benoit FOULIOUSE François CHOMEL et
Antoine FORESTIER qui n'ont sceûs signer enquis. Russias curé"


Une France en détresse au début du XVIIIe siècle

Pour comprendre cet événement, il faut se replacer dans son contexte.

Le début du XVIIIe siècle est marqué par une grande instabilité. La guerre de Succession d’Espagne (1701-1714) a vidé les caisses du royaume, et les populations rurales souffrent de pénuries alimentaires récurrentes. De plus, les hivers de grand froid (1709/1710) ont laissé des traces avec les mauvaises récoltes et la famine dont certains ne se sont pas encore relevés. Par ailleurs, la lourdeur des impôts rendent la survie difficile.

Dans ce contexte, les aumônes des seigneurs ou des familles nobles étaient souvent le dernier recours pour les plus démunis.

Mais ces distributions, loin d’être organisées avec méthode, pouvaient rapidement dégénérer car la faim poussait aux extrêmes.


Une distribution fatale

Nous ignorons les détails précis de ce jour tragique à Domaize.

Mais l’inscription laissée par le prêtre est claire : une foule "de peuple" (très probablement affamée) s’est précipitée sur les aumônes, provoquant un mouvement de panique où dix enfants ont été piétinés et étouffés avant même de pouvoir recevoir les sacrements.

Cette tragédie rappelle d’autres épisodes de famines et d’émeutes frumentaires qui jalonneront le XVIIIe siècle. En 1709, un hiver glacial a entraîné des famines qui ont tué près de 600 000 personnes en France. À plusieurs reprises, des distributions d’aumônes ou de pain ont conduit à des émeutes incontrôlables, notamment à Paris et dans les grandes villes.


Un drame révélateur de la fracture sociale

Ce fait divers de Domaize en 1712, aussi méconnu soit-il, met en lumière un aspect essentiel de l’Ancien Régime : l’extrême dépendance des pauvres envers la charité des puissants. En effet, les distributions de nourriture, étaient loin de n'être que des gestes purement altruistes. A cette époque, elles renforçaient également un rapport de domination où le peuple devait quémander son pain.

Ce genre de tragédie s’estompera peu à peu avec la modernisation des aides sociales, notamment au XIXe siècle avec la mise en place d’une assistance publique plus structurée.

Mais en 1712, à Domaize, dix enfants, âgés de 3 ans à 14 ans, ont payé de leur vie cette misère endémique.

Ce court passage dans un registre paroissial nous rappelle ainsi une réalité brutale : la faim pouvait tuer de bien des façons sous l’Ancien Régime. Comme à n'en pas douter, elle a toujours pu, elle pourrait, elle peut et elle continuera d'en faire autant, de tout temps.


Paix à leur âme

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